Par une décision du 19 novembre 2024, la Cour administrative d'appel de Nantes a souligné l'importance de la sauvegarde de l’héritage architectural, historique et culturel face à des projets susceptibles de l'altérer.
Par un arrêté du 25 novembre 2020, la maire de Rennes délivre un permis ayant pour objet la démolition totale du bâti existant et la construction d’un immeuble sur une parcelle située rue de la Palestine à Rennes.
Compte tenu du fait que la rue de La Palestine est un élément essentiel de l’identité culturelle de la Ville de RENNES et qu’il convient de la protéger, les riverains du projet ont fait appel à Maître Sébastien COLLET et Maître Morgane LEDUC pour contester le projet.
Si le Tribunal administratif de RENNES n’avait pas fait droit à leur demande, la Cour administrative d'appel de Nantes a rappelé que les services instructeurs doivent veiller à l'intégration harmonieuse des projets de construction dans le tissu historique et culturel existant :
"9. Il ressort des pièces du dossier que la construction autorisée est un immeuble en R+3 d’une hauteur de 14,50 mètres en son point le plus haut. Cette construction comprend sur trois de ses cotés des terrasses, pour certaines en porte-à-faux, et, sur sa partie ouest, en limite de la propriété avec la parcelle XXX, une tour d’une hauteur de 14,50 mètres assurant la desserte des différents niveaux de l’immeuble, un mur pignon aveugle d’une hauteur de 9,80 mètres, ainsi que des terrasses prolongeant certaines parties du bâtiment comprenant des habitations, lesquelles sont coiffées d’une toiture atteignant 13,95 mètres au faitage. Sur ce côté ouest, la largeur du mur comprenant la tour et le mur pignon est de 15,01 mètres. Cette tour est prévue, sur ce même coté, en pierres de schiste et majoritairement en briques grises, tandis que le mur pignon aveugle sera composé d’un socle en pierre de schiste surmonté pour l’essentiel de briques grises. Un toit plat est prévu au sommet de la tour, alors que le reste de la construction sera doté d’une couverture à quatre versants en zinc prépatiné. L’autorisation contestée prévoit par ailleurs sur le terrain d’assiette du projet, la démolition d’une maison existante en R + combles aménagées, située en continuité de la construction située sur la parcelle XXX, et d’un garage situé en fond de parcelle, accessible depuis l’allée Adolphe Orain.
10. La parcelle d’assiette du projet est située aux abords immédiats du parc du Thabor, en zone UP au plan local d'urbanisme intercommunal correspondant à un secteur qui « par sa composition urbaine homogène et caractéristique du siècle dernier, constitue un ensemble patrimonial d’intérêt local qu’il convient de préserver en raison de sa valeur culturelle et historique ». Elle est limitrophe à l’ouest, sur la parcelle BN 1027, d’une maison d’habitation, dite ancien hôtel Oudin, identifiée par ce même document comme « un édifice remarquable ou exceptionnel de grande qualité patrimoniale » correspondant « soit à des constructions singulières à l’échelle locale, soit à des constructions les plus représentatives d’une typologie locale. Il s’agit d’édifices non dénaturés ayant conservé une cohérence architecturale de la façade et des décors. ». Cette construction protégée est située à la croisée de quatre voies, dont deux des trois autres angles de ce carrefour supportent également des maisons identifiées au même titre. En limite est du terrain d’assiette du projet, rue de la Palestine, se trouve aussi une maison identifiée par le plan local d'urbanisme comme appartenant aux « édifices significatifs de qualité patrimoniale ». En outre, aux abords immédiats du projet, rue de la Palestine et boulevard de la Duchesse Anne, plusieurs constructions sont protégées aux mêmes titres et appartiennent à la même zone UP. Cette zone, qui ne couvre pas la totalité de la rue de la Palestine, forme ainsi, au sens du plan local d'urbanisme intercommunal, un ensemble patrimonial d’intérêt local dont ses auteurs affirment qu’il convient de le préserver en raison de sa valeur culturelle et historique.
11. Il résulte de ce qui vient d’être exposé que l’arrêté contesté autorise la réalisation en limite immédiate de la parcelle supportant l’ancien hôtel Oudin d’un mur pignon d’une hauteur de 9,80 mètres prolongé par une tour de 14,60 mètres sur une largeur totale de 15,01 mètres. Cette construction se substitue à une maison d’habitation d’une hauteur limitée à R + combles aménagées, aux caractéristiques architecturales sur rue similaires à celles de l’ancien hôtel Oudin. Ainsi l’arrêté contesté permet l’édification d’un mur de brique pour l’essentiel qui, depuis la partie est de la rue de la Palestine, va limiter substantiellement la vue sur cette construction identifiée comme étant de grande qualité patrimoniale. De même, alors que la vue de l’arrière de cette même construction était jusque-là dégagée depuis l’espace public situé au sud du boulevard de la Duchesse Anne et à l’angle avec la rue de la Palestine, permettant notamment d’apprécier ses volumes et son insertion par rapport aux autres constructions d’intérêt patrimonial proches, ce même mur situé en limite directe de la parcelle supportant l’hôtel Oudin, va fortement limiter ces vues et supprimer des perspectives. Il ressort également des pièces du dossier qu’eu égard à la configuration des lieux marquée par l’existence d’un carrefour et de dénivelés, la construction contestée sera particulièrement visible, depuis plusieurs endroits de ce même espace public. Par ailleurs le choix de la brique grise pour l’édification de l’essentiel du mur pignon aveugle est sans lien avec les moellons de schiste composant l’hôtel Oudin et la tour autorisée, à toit plat, rompt visuellement avec les nombreuses constructions protégées précitées. De plus, la façade de cette tour donnant sur la rue de la Palestine est caractérisée par de nombreuses baies vitrées, pour certaines continues sur toute la hauteur, sans rapport avec les constructions présentes à ses abords immédiats dans cette rue. Il en va de même de la réalisation de nombreuses terrasses ouvertes. L’existence de constructions de facture contemporaine aux abords immédiats du projet est à égard sans réelle incidence dès lors que la maison apparemment récente située en vis-à-vis du projet, rue de la Palestine, est de faible hauteur et largement dissimulée par un mur de pierre et que l’immeuble, situé allée Adolphe Orain, est localisé en deuxième rang par rapport à la rue de la Palestine. Nombre des autres constructions contemporaines situées à proximité et mentionnées par la commune ne sont pas en zone UP. Enfin, s’il ressort des pièces du dossier, notamment de la notice architecturale et des documents graphiques, que le pétitionnaire a cherché à prendre en compte l’ensemble du bâti homogène ancien proche dans lequel il se situe, l’implantation du projet, eu égard à ses caractéristiques précitées marquées notamment par d’importantes terrasses sur presque tout son pourtour, ne peut être regardée comme participant à la mise en valeur des édifices identifiés par les auteurs du plan local d'urbanisme intercommunal au titre du patrimoine.
12. Dans ces conditions, le projet autorisé étant de nature à porter atteinte à l’homogénéité de la composition urbaine dans lequel il s’inscrit et ne participant pas à la mise en valeur des édifices proches identifiés au titre du patrimoine par le plan local d'urbanisme intercommunal, dont l’ancien hôtel Oudin qu’il jouxte, les consorts XXX sont fondés à soutenir que l’arrêté contesté est intervenu en méconnaissance des dispositions de l’article 1 du règlement précité ainsi que de celles citées au point 8 régissant les constructions sises en zone UP.
(…)
14. Il ressort des pièces du dossier que l’hôtel Oudin précité, identifié au titre du patrimoine bâti d’intérêt local, se prolonge rue de la Palestine, jusqu’en limite du terrain d’assiette du projet autorisé, par un garage automobile au linteau commun. Il en résulte que le projet d’immeuble contesté, implanté à cet endroit en limite de propriété, est contigu de cette construction. Par ailleurs pour les motifs exposés précédemment, essentiellement en raison des caractéristiques de l’immeuble autorisé marquées par l’existence d’une haute tour, largement vitrée, de nombreuses terrasses et l’édification d’un mur aveugle d’une hauteur conséquente essentiellement constitué en briques grises en limite séparative de la parcelle supportant l’hôtel Oudin, il n’est pas établi que la construction autorisée aurait pris en compte les caractéristiques patrimoniales de ladite construction contiguë. Par suite, M. XXX et autres sont fondés à soutenir que l’arrêté contesté méconnait les dispositions précitées en ce qu’elles imposent en pareille hypothèse de contiguïté de prendre en compte lesdites caractéristiques patrimoniales des bâtiments patrimoniaux contigus. "(Cour administrative d'appel de Nantes, 19 novembre 2024, n°23NT00246)
Du fait de l’annulation du permis de construire, le projet d’immeuble ne verra pas le jour.
Morgane LEDUC
20 novembre 2024 à 00:00:00